ENTRE-TEMPS... BRUSQUEMENT, ET ENSUITE – Par Gunnar B. Kvaran, Commissaire invité

Portrait Gunnar B. Kvaran

La Biennale de Lyon 2013 rassemble et présente des artistes du monde entier qui travaillent dans le champ narratif et expérimentent, à travers leurs oeuvres, les modalités et les mécanismes du récit. L’exposition met ainsi au premier plan l’inventivité dont font preuve les artistes contemporains pour raconter autrement des histoires neuves, en défaisant les codes narratifs mainstream, les mises-en-intrigue prêtes à l’emploi.

Ces artistes donnent à leurs oeuvres-récits des formes extrêmement variées, utilisant une multiplicité de registres, matériaux et techniques ou technologies. L’exposition mêle ainsi sculptures, peintures, images fixes et animées, arrangements de textes, de sons et d’objets dans l’espace, performances, etc. Elle souligne la manière – les manières, plutôt – dont les jeunes artistes aujourd’hui, selon qu’ils travaillent en Europe, en Asie, en Amérique latine, en Afrique ou en Amérique du nord, imaginent les narrations de demain : des narrations qui négligent les suspenses et les excitations de la fiction globalisée (hollywoodienne, télévisuelle, ou celle de best-sellers de la littérature mondiale) ; des narrations inédites qui défamiliarisent le monde, lui restituent son étrangeté et sa complexité radicales si souvent aplanies et étouffées par les mises-en-récit conventionnelles ; des narrations artistiques qui nous donnent à voir et à comprendre le monde comme toujours neuf et plus intelligible.

Ainsi, une multitude d’histoires, de natures et de genres très différents, que les artistes ont développées à partir d’expériences réelles ou de constructions imaginaires, d’anecdotes tirées de la vie quotidienne aussi bien que de phénomènes sociaux ou d’événements historiques considérables, vont se disséminer et s’entrecroiser, sans aucune hiérarchie ou intention méta-narrative, sur les différents sites qui accueillent cette année la Biennale : la Sucrière, le Musée d’art contemporain et la Fondation Bullukian, auxquels s’ajoutent pour cette édition deux nouveaux lieux, la Chaufferie de l’Antiquaille et l’église Saint-Just. Certaines oeuvres, et les histoires qu’elles véhiculent, s’immisceront jusque dans des maisons et appartements privés de Lyon pendant toute la durée de la Biennale, et se prêteront alors aux modes de présentation et de diffusion que les habitants de ces lieux d’exposition insolites souhaiteront inventer pour chacune d’entre elles. Ce sont autant d’histoires que les visiteurs pourront s’approprier et, à leur tour, raconter, en les énonçant autrement, en les développant probablement un peu, et en les déformant parfois sans doute aussi. Elles se propageront selon diverses modalités, au gré de conversations, sur le mode de la rumeur, ou à l’aide des nouvelles technologies des réseaux sociaux, donnant lieu à des récits imprévisibles – augmentés, discontinus et fragmentaires.

Si elle souhaite, avant toute autre chose, être une manifestation artistique collective, plurielle et partageable, cette nouvelle édition de la Biennale de Lyon n’en demeure pas moins complètement subjective et pleinement assumée comme telle. La liste des artistes qui la composent retrace l’itinéraire qui m’a conduit à lui donner sa forme actuelle. D’abord ce sont des artistes reconnus comme Erró, Yoko Ono, Alain Robbe-Grillet, Robert Gober, Jeff Koons, Matthew Barney, Fabrice Hyber, Tom Sachs, Ann Lislegaard et Bjarne Melgaard, avec lesquels j’ai travaillé de manière rapprochée et dont les pratiques expérimentales m’ont révélé de nouvelles configurations narratives dans l’art contemporain. Ces artistes m’ont impressionné par leurs façons d’inventer, avec leurs oeuvres, une politique de la narration visuelle, en faisant apparaître comme contingent ce qui nous est présenté comme naturel et inévitable, en contestant le mythe de l’ordre naturel du récit qui sert à tout ordre social, moral, politique pour s’établir et se prolonger.

Mais une biennale artistique doit témoigner de l’état de l’art actuel. Pour ne jamais céder au sommeil des pensées closes, conscient de la nécessité d’être constamment en quête de nouveaux modes d’interprétation et de narration du monde, j’ai donc choisi de présenter toute une nouvelle génération d’artistes découverts ces dernières années au cours de mes recherches et nombreux voyages à travers le monde, et qui à leur tour renouvellent les manières de restituer toute la complexité du monde d’aujourd’hui à travers des expérimentations narratives qui prennent forme au-delà des mots.

Le projet de la Biennale de Lyon 2013 travaille la question de la Biennale d’art contemporain comme la construction d’un monde commun, et non donné. C’est la raison pour laquelle le titre choisi pour la Biennale 2013 évite soigneusement d’annoncer une synthèse descriptive des oeuvres présentées, mais cherche au contraire à les distraire d’une assise explicative commode qui trop souvent contribue à contredire leur polysémie fondamentale. À travers le choix de ce titre qui met l’accent sur les procédés de mise-en-récit, il s’agit d’affirmer la nécessité pour une exposition de battre au rythme de son objet : ici, une attention renouvelée à la forme, à la forme comme productrice de sens, et à l’idée que dans un récit, c’est la façon de raconter, de faire récit, l’invention d’une forme narrative nouvelle qui toujours prévaut.

Gunnar B. Kvaran présente la Biennale de Lyon 2013 (version longue)